Les dents qui frisent de Patrick Lorenzini

Les dents qui frisent de Patrick Lorenzini

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 22 août 2023 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (22 921ème position).
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Bouquet de formes aphoristiques

Ex-journaliste et grand reporter, Patrick LORENZINI est l’auteur de quelques ouvrages (poésie, monographie, biographie…).

On découvre, une fois de plus avec ce recueil paru aux Cactus Inébranlable Editions un auteur d’aphorismes de caractère qui rendent compte de toutes les étapes de la vie d’un homme qui a roulé sa bosse et qui se narre sans s’en laisser conter.

Un ennui de santé a alerté l’auteur sur la précarité de la vie, le terme définitif de toute existence (« On a beau les mettre en terre, les morts ça ne repousse pas. ») et aiguisé son souci de vivre l’instant présent plutôt que de parier sur un hypothétique lendemain.

« A presque soixante-dix ans, je ne sais toujours pas si la vie est un miracle ou une supercherie. »

Plus loin, on lit cet aphorisme crépusculaire : « Les ruines que l’on porte en soi ne font d’ombre que la nuit. »

Le recueil commence moderato pour vite gagner en puissance et en intensité et nous attacher à la compagnie de l’ancien journaliste pour ne pas lâcher le bon morceau de lecture avant le dernier mot.

On sent l’auteur critique sur l’état de la presse écrite, « de moins en moins écrite, de plus en plus pressée » et sur les grands quotidiens, « l’Immonde ou l’inhumanité, la Voix du Mort ou Vice Matin…« , qu’on ne distingue plus les uns des autres.

Il égratigne de même la gauche du spectre politique, les fanatiques religieux ou encore d’Ormesson, Bobin, Camus et la poésie performative. Sans omettre ce domaine ârtistique qui a droit à cette saillie :

« Je crois que le théâtre m’emmerderait un peu moins s’il n’y avait pas ce circonflexe sur le a. »

Mais il sait joliment nous engager à lire Rilke : « Tout est beau chez Rainer Maria Rilke, même son nom. »

Plusieurs aphorismes sont consacrés à l’acte d’écrire dont celui-ci qui fait la part belle à l’autodérision :

« Si je savais parler, je n’écrirais pas…

Si je savais écrire, on en parlerait… »

Pas moins dupe sur les relations humaines, sur la destinée des amours ou de nos amitiés, il a ces mots : « Même envers nos relations les plus chères, il entre une part de désir de nuire. »

Ou encore : « Rien de tel qu’un voyage organisé pour vous conforter dans une cordiale misanthropie. »

Beaucoup d’humour aussi ponctue l’ensemble, avec parfois des pointes de trivialité mais comme contrebalancées par l’amour qu’il voue au corps de la femme, comme quand il écrit : « J’irais bien visiter son bassin vénérien. » ou lorsqu’il calcule « la part d’ange » en soustrayant la capacité de sperme moyenne reçue dans une vie par la femme à celle produite par le mâle.

Dans le registre tendre, on trouve ceci : « Le froid révèle toujours avec plus d’acuité l’exacte douceur d’une femme. »

Au long de la lecture, on rencontre aussi des vers ironiques en hommage (à Rimbaud, Apollinaire, Lacan…) et des listes, celles de « quelques hommes du monde », des « chansons stupides », des « livres de chevet », qui nous valent de savoureux jeux de mots ou détournements de locutions.

Si, suite à la lecture de ce compte-rendu, vous ne vous pressez pas pour commander l’ouvrage, c’est que vous n’êtes bons qu’à lire des romans de plage ou de la poésie de seconde main !

À noter aussi que "Bouquet de formes", l’œuvre ornant la couverture, est de Chloé Lorenzini qui, par son titre, notamment, rend bien compte de ce recueil où toutes les formes d’aphorismes sont déclinées, avec bonheur.

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Drôle et caustique

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 23 novembre 2023

Voilà encore un nouvel entrant, pour moi au moins, dans la célèbre écurie littéraire Le Cactus inébranlable éditions. Avant lecture de son recueil, j’espérais qu’il correspondrait à l’exergue qu’il a pêché chez le grand Louis Scutenaire, « Ce monsieur est un gros poète », après lecture j’en conviens aisément. On ne peut pas douter de ses goûts littéraires, ni de ses sources d’inspiration, quand il convoque dans ce recueil : Paul Jean Toulet, Antoine Blondin, Louis Scutenaire comme je l’ai déjà mentionné et quelques autres : Arthur Rimbaud, Christian Bobin, Pablo Picasso, … Même s’il est dubitatif sur la production de certains poètes actuels : « Seuls les poissons achètent ses vers, mais uniquement lorsqu’ils meurent de faim ».

Dans ce recueil, Patrick s’emploie à déconstruire des expressions consacrées, toute faites, trop usitées, des titres vulgarisés à l’excès, des maximes répétées à l’outrance, des intitulés récurrents, …, pour formuler de nouvelles expressions drôles, souvent même désopilantes, qu’il rédige en des textes courts, souvent très courts, percutants, satiriques, caustiques qu’il adresse aux modes de vie actuels, aux comportements contemporains, aux divers médias réels et virtuels et plus globalement à nos façons de vivre aujourd’hui.

« La presse écrite : de moins en moins écrite, de plus en plus pressée ».
« Elle s’est fait faire un ravagement de façade ».
« Tout est déjà si démodé ».
« Le pire est le propre de l’homme ».

L’homme est aussi philosophe, à la mode du Père Ubu peut-être, si l’on en croit certains aphorismes placés au tout début du recueil :

« Affirmer un doute résolu plutôt qu’une certitude hésitante ».
« Je préfère qu’il n’y ait pas de solution lorsqu’il n’y a aucun problème ».
« Pensées pour aller se pendre avec le sourire ».

J’ai aussi apprécié quelques jolis mots d’esprit en forme de clin d’œil aux surréalistes :

« La Grosse Bertha était-elle la femme du Père Obu »
« Mon poissonnier n’avait plus de truite de Schubert, je lui ai pris un beau mérou de Ravel ».

J’ai pensé que celui-ci ferait une jolie conclusion à ce recueil
« Les mots furent parfois un bel endroit où vivre ». Ceux de ce livre sont tout à fait cosy …

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